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Archives du : 2 mai 2016

Phantéidolie hallucinosique du visage

Publié par Docteur Foucaud Du Boisguéheneuc, 2 / 05 / 2016 / Imprimer cette page
F. du Boisguéheneuc, A. Manssouri, R. Perdrisot

 

Image2Un patient de 83 ans décrit des « apparitions » depuis une chirurgie cardiaque sous anesthésie générale. Il s’agit d’hallucinations critiquées ayant un caractère onirique. Elles surviennent plus souvent le soir ou la nuit. Sa belle-fille rapporte une somnolence dans la journée. Il s’agit de personnes connues (sa femme, sa fille ou sa mère) dont il voit plutôt le tronc, pas les membres inférieurs et le visage de façon indistincte. Sa belle-fille le surprend à parler seul. Parfois ce sont des scénarios plus élaborés : par exemple, il emmène son petit fils se promener et le perd dans un magasin. Il appelle la gendarmerie puis sa fille le retrouve perdu dans son appartement. Il décrit des sensations de présence qui disparaissent lorsqu’il se retourne, ou bien le sentiment de voir une personne à la place d’un manteau, parfois le sentiment qu’il y a du monde dans le salon quand la télévision est allumée. « L’autre jour, j’ai vu une armée de petits soldats japonais qui envahissaient mon lit. »

 

Le patient : « – Je vois mon père, ma mère, ma femme. Je ne vois pas leur visage. Je les vois à une certaine distance. C’est vaporeux mais réel. Les images disparaissent en quelques minutes. Je sais que ce n’est pas réel. Je n’ai aucun doute là-dessus.

Le médecin : – Mais ça fait réel ?

– Ah ça fait très réel ! A tel point qu’il y a une scène qui me marquera toujours : ma mère était couchée à côté de moi dans mon lit et elle m’a caressé la main et parlé un petit peu, trois mots.

– Votre mère, elle était sur votre droite ou sur votre gauche ?

– Ma mère ? Ah non c’est ma femme. Imaginez ma femme à côté de moi, morte mais vivante ! Elle était là à sa place habituelle dans le lit !

– Et vous ne voyez pas les visages ?

– Non, jamais. Ils mettent un masque pour ne pas…

– Un masque ?

– Ma femme, enfin celle qui jouait le rôle de ma mère avait mis un masque devant son visage.

– Qui jouait le rôle de votre mère ?

– Oui.

– Ça veut dire quoi ?

– Parce que ce n’était pas ma mère. C’était ma mère si vous voulez mais je n’y croyais pas.

– C’était qui ?

– C’était ma mère en visage !

– Mais derrière, c’était qui alors ?

– Eh bien quelqu’un qui lui ressemblait très fortement.

– Mais si vous n’avez pas vu le visage ?

– Ben le fait qu’elle soit à côté de moi dans mon lit et qui me caresse la main, ça ne peut être que ma mère ou ma femme.

– C’était flou ?

– Ah non, ce n’était pas flou, c’était une image nette.

– De quoi ?

– Les traits du visage.

– Donc, il n’y avait pas de masque ?

– Elle s’approchait de moi avec un masque mais quand elle était au loin devant moi, elle n’avait pas de masque. Non, j’ai vu mes parents et ma femme avec une vision réelle de l’image, une image… une fausse image inévitablement. J’étais bien conscient que premièrement j’étais éveillé, deuxièmement, c’était des images tellement frappantes que de loin, il n’y avait aucun doute. Donc une image réelle mais… mais fausse quoi !

– Je ne comprends pas ce que vous dites.

– Je ne pouvais pas le croire étant donné qu’ils sont tous morts. Je voyais l’image de ma femme et de mes parents, l’image était réelle… mais fausse. Que voulez-vous que je vous dise moi ?

– Est-ce que ça ne peut pas être la même personne qui change d’identité ?

– Ah non pas du tout.

– Elles pouvaient être les trois ensembles ?

– Non, je ne les ai jamais vues ensembles.

– Et ce n’était pas du rêve ?

– Eh bien, il y a des actions qui sont typiquement de ma mère ou de ma femme.

– Ça exclut que ce soit du rêve ?

– Oui. Il n’y avait pas de mise en scène comme dans le rêve.

– Est-ce que c’était à certaines heures de la journée ?

– Ah oui. Mon père c’est toujours à 1H30 du matin. Les autres, c’est plutôt du 8-9 heures du soir. Toujours le soir, la nuit. Je me souviens très bien à 1 heure 30, la stature de mon père.

– Et qu’est-ce qui empêche de dire que c’est un rêve, que vous dormez ?

– Parce que j’étais éveillé. J’étais allongé. L’image apparaît quand je suis immobile et elle disparaît quand je me mets en mouvement.

 

Scintigraphie HMPAO : hypofixation hétérogène des régions temporo-occipitales

Scintigraphie HMPAO : hypofixation hétérogène des régions temporo-occipitales

Les performances cognitives sont plutôt bonnes : MMSE = 28/30. Au RL/RI16, la somme des rappels libres est à 17/48, la somme des rappels totaux à 47/48 avec un indiçage efficace à 97 %. Il n’y pas de trouble du langage en dénomination ni d’apraxie gestuelle (16/18) mais des éléments d’apraxie constructive (figure de Rey à 28/36). La VOSP ne met en évidence aucun trouble visuo-spatial. Le traitement anticholinestérasique a amélioré de façon significative les hallucinations. Une maladie à corps de Lewy est évoquée. Chez ce patient, plusieurs niveaux de réalité s’opposent selon le point de vue d’où il voit ses images : il sent la présence à côté de lui dans son lit, toujours la nuit bien qu’il soit réveillé, d’une femme « morte mais vivante ». Ce serait sa femme qui « joue le rôle de sa mère » en portant un masque devant son visage. Ce ne peut pas être sa mère « puisqu’elle est morte ». Ce sont donc des images « réelles mais fausses », c’est-à-dire de vraies images mais non réelles.

Test de transfert inter-hémisphérique d’informations somesthésiques

Publié par Docteur Foucaud Du Boisguéheneuc, 2 / 05 / 2016 / Imprimer cette page
F. du Boisguéheneuc, W-P. Westphal, C. Bouyer

 

Un patient de 24 ans est hospitalisé pour une hémorragie méningée en rapport avec un anévrysme de l’artère cérébrale antérieure, compliquée d’un hématome du corps calleux. Parésie du membre supérieur droit et aphasie avec paraphasies phonétiques, phonémiques, et sémantiques (chaise pour fauteuil ; rhinocorne pour rhinocéros). Alexie (violet pour vert; vaisselle pour vase) et agraphie profonde des deux mains. Syndrome de Gerstmann avec agnosie digitale et indistinction droite-gauche. Trouble de la coordination bimanuelle et du transfert d’informations somesthésiques, apraxie constructive droite, et hémi-ataxie visuelle croisée dans l’hémichamp gauche. On ne retrouve pas d’apraxie gauche mais une difficulté pour réaliser des gestes abstraits bimanuels lorsqu’il faut croiser les mains ou les doigts. Enfin, une sensation de main étrangère droite.

 

Copie du cube et de la figure de Rey de la main gauche (à gauche) et de la main droite (à droite)

 

Le test de transfert inter-hémisphérique (TTIH) d’informations somesthésiques (Dennis M, 1976) consiste à demander au patient de fermer les yeux, puis les paumes tournées vers le haut, à toucher chaque doigt de façon aléatoire. En condition homolatérale, le patient doit simplement plier le doigt touché. En condition croisée, il doigt bouger le même doigt de l’autre main. Le patient ne fait aucune erreur en condition homolatérale (10/10), 8 erreurs en condition croisée (2/10). Il s’agit dans 5 cas sur 8 d’erreurs de symétrie (en rouge). Le TTIH présente l’avantage par rapport aux autres tests de dysconnexion : 1. D’être réalisable au lit du patient, les champs sensoriels des deux mains ne se recouvrant pas à la différence des modalités auditive et visuelle qui nécessitent des appareillages sophistiqués (tachystoscopie et écoute dichotique), 2. De solliciter des fonctions sensori-motrices primaires dont la représentation corticale strictement latéralisée ne permet pas de compensation à la différence des fonctions associatives.

 

Test de transfert d'informations somesthésiques

Test de transfert d’informations somesthésiques : condition homolatérale (en haut) et croisée (en bas)

 

Image1

IRM : Hématome du corps calleux

 

Maureen Dennis, Impaired sensory and motor differentiation with corpus callosum agenesis : a lack of callosal inhibition during ontogeny ? Neuropsychologia, 1976, Vol. 14  pp 455–469

Délire d’identité : une question de point de vue

Publié par Docteur Foucaud Du Boisguéheneuc, 2 / 05 / 2016 / Imprimer cette page
F. du Boisguéheneuc, A. Manssouri, M. Beauchamps, R. Perdrisot

 

Marcel Duchamp, 1917, Collection Centre Pompidou – Musée national d’art moderne, Paris

 

Une patiente de 74 ans présente des hallucinations depuis 3 ans. Il s’agit d’un délire d’identité (syndrome de Capgras) qui a concerné d’abord son mari qu’elle prenait pour son père. Depuis, il change régulièrement d’identité comme en témoignent les changements de pronom (il ou elle, au singulier ou au pluriel). Les confusions d’identité se sont ensuite étendues aux petits-enfants ou à sa fille qu’elle confond avec sa sœur. Désormais, elle voit des femmes qui s’installent chez elle et contre lesquelles elle s’agace quotidiennement. Elle parle parfois de ses parents décédés. Ses filles la surprennent à parler seule.

 

Sa fille : « – je ne sais pas comment on peut appeler ça : elle a des hallucinations. Elle voit des gens chez elle, ce n’est pas que mon père, parfois ce sont des femmes… ça la rend très agressive. Au début, elle confondait mon père, son mari avec son père. Ensuite quand elle nous parle de lui, elle dit : « ils » mais on n’a jamais su de qui elle parlait. Aujourd’hui quand elle parle de notre père, elle dit : « elles ». On ne sait toujours pas de qui il s’agit. On lui demande de nous le décrire, elle nous dit que c’est quelqu’un qui lui ressemble… parfois elle s’en rend compte.

 

La patiente : – C’est-à-dire que je le confonds avec une personne qui lui ressemble… Je ne peux pas m’en empêcher… Dans sa famille, il y a des personnes qui lui ressemblent, c’est normal. Il y a des fois quand on est à table, on me dit : ‘Mais tu sais à qui tu parles ?’ Alors là, oui… je le regarde et je vois bien que… c’est lui quoi.

Le médecin : – Mais juste avant, vous parliez à qui alors ?

La patiente : – C’est-à-dire que… je ne peux pas vous expliquer… sa tête, enfin je ne sais pas. Ce serait peut-être son père, parce qu’il est un peu effacé comme lui.

Sa fille aînée : – On n’a jamais réussi à identifier si c’est quelqu’un de la famille ou quelqu’un d’autre… Des fois, tu m’as confondue avec Laurence. Comme j’ai une fille qui a sept ans, une fois tu as dû dire que c’était le fils, enfin la fille de ma sœur.

Le médecin : – Donc elle peut faire des confusions concernant sa petite fille.

– Oui.

Sa fille cadette : – Elle m’a téléphoné la semaine dernière en me disant : ‘Oui, Laurence, c’est ta tante là au téléphone’. Alors quand je l’ai vue, je lui ai dit : ‘Tu t’es trompée’, tu ne m’as pas dit : ‘C’est maman’, tu m’as dit : ‘C’est ta tante’. C’est la première fois qu’elle me fait ça.

Le médecin : – Donc vous voyez des personnes dans la maison en dehors des confusions concernant votre mari ?

Sa fille aînée : – Ça t’est déjà arrivé Maman de dire à Céline…

Sa fille cadette : – Elle dit : ‘il y a des femmes qui sont venues déjeuner, c’est toujours elles qui dérangent…’

Sa fille aînée : – Alors elle s’énerve énormément dans ces moments-là parce qu’elle dit : ‘Elles sont venues. Une fois de plus c’est elle qui fait tout.’ Ça la met dans un état d’agressivité !

Le médecin : – Et ces personnes, est-ce que vous les avez vues ou vous voyez simplement les restes du repas et vous en déduisez qu’elles sont venues ?

Sa fille aînée : – Je ne pense pas. Elle nous a déjà parlé de nos grands-parents. L’autre jour, je suis arrivée à la maison… il y avait leur voiture, la voiture de mon père. Et elle m’a dit : « Ben c’est encore Jacques qui est venu (Jacques, c’était son père), il a fait le bazar, etc. »

Sa fille cadette : – Et l’autre fois, elle m’a dit : ‘J’ai l’impression de vivre des fois à cette époque-là… mes parents sont là’, sachant qu’ils sont décédés il y a 30 ans.

Le médecin : – Est-ce que parfois vous avez des sensations de présence autour de vous ?

Sa fille cadette : – On est trois filles, notre sœur dit : ‘On a l’impression qu’elle entend des voix’. Donc elle est très énervée après quelqu’un. Là quand on lui en parle, vous voyez, elle ne s’en rappelle même pas.

Le médecin : – Mais quand vous dites qu’elle entend des voix, vous voulez dire qu’elle les entend vraiment ?

Sa fille cadette : – Elle parle beaucoup toute seule, c’est toujours sur le ton de la colère. Même devant la télévision, elle s’énerve devant la présentatrice.

Le médecin : – Mais quand vous dites qu’elle parle toute seule, vous voulez dire qu’elle parle à elle-même ou elle parle à quelqu’un ? C’est un monologue ou un dialogue ?

Sa fille aînée : – Ça s’adresse à son conjoint la plupart du temps. Elle parle de ces bonnes femmes.

Le médecin : – Mais elle ne parle pas à ces bonnes femmes ?

Les filles : – Non, c’est Elles.

Sa fille aînée : – En général, elle parle à son mari, elle ronchonne. C’est il ou elle. De toute façon quand elle parle à notre père, elle ne lui dit plus tu, c’est il… c’est détaché.

Sa fille cadette : – C’est comme si c’était un inconnu…

Sa fille aînée : – Il n’a rien à faire là quoi.

Sa fille cadette : (Se tourne vers sa mère) – Tu l’as dit chez Nicole. (Au médecin) Elle a dit qu’elle n’avait jamais vécu avec cet homme-là et qu’il fallait qu’il dégage de là. Les mots sont forts. »

Le téléphone de la patiente sonne pendant l’examen : «– Ah tiens, je pense que ce sont mes parents. »

 

IRM et TEP 18 FDG : hypométabolisme associatif antérieur et postérieur bilatéral

IRM et TEP 18 FDG : hypométabolisme pariéto-frontal prédominant à droite

Le bilan neuropsychologique retrouve un MMS à 20,5. Il existe une légère désorientation temporelle, un trouble de la mémoire épisodique, des difficultés visuo-constructives et un déficit de la reconnaissance des personnes alors que les fonctions visuo-spatiales sont plutôt préservées ainsi que les praxies idéomotrices. Il s’agit vraisemblablement d’une maladie d’Alzheimer. Ce cas illustre les difficultés qu’il y a à retranscrire le délire d’identité. La narration provoque l’interférence presque inévitable entre les personnes présentes et les personnes évoquées, vivantes ou mortes, réelles ou non, chacune intervenant à la première, seconde ou troisième personne.

 

Image 1 : Marcel Duchamp, 1917, ancienne collection HP Roché. Broadway Photo Shop, NY, 1917. Collection Centre Pompidou – Musée national d’art moderne, Paris. Inv.-Nr. : AM 2004-177 8,7 x 14 cm Hierzu : James W. McManus, Trucage photographique et déplacement de l’objet, À propos d’une photographie de Marcel Duchamp prise devant un miroir à charnières (1917), in: Les Cahiers du Musée national d’art moderne, Nr. 92, Juli 200