Accès aux archives
janvier 2018
L M M J V S D
« Nov   Mar »
1234567
891011121314
15161718192021
22232425262728
293031  

Archives du mois : janvier 2018

Scission de l’image du corps propre

Publié par Docteur Foucaud Du Boisguéheneuc, 3 / 01 / 2018 / Imprimer cette page
Auteurs: F. du Boisguéheneuc, C. Bouyer, M. Wager

 

Enfant ayant deux têtes, deux bras et quatre jambes, A. Paré, 1585

Un patient de 26 ans en école d’ingénieur est vu pour une lésion gliale de bas grade du précunéus droit révélée par un épisode de céphalée avec troubles visuels et perte de sensibilité de l’hémicorps gauche. Il rapporte les faits suivants :

 

« – Le dimanche après-midi, j’ai rejoint mon père à l’Ile de Ré pour faire du bateau. Quand on était sur le bateau, j’avais l’impression qu’il y avait quelque chose derrière moi à gauche. J’étais tout le temps en train de me retourner, comme si ce qui se passait était sur ma gauche derrière. Quand mon père me parlait, j’avais l’impression qu’il était derrière moi. J’étais tout le temps en train de me retourner alors qu’en fait il était devant. Et puis j’ai chaviré. J’ai essayé de resaler le bateau sauf que je le faisais à l’envers, chose qui ne m’arrive jamais. C’est-à-dire que le mât était orienté vers le fond et moi j’essayais de le retourner dans le mauvais sens. Donc mon père est arrivé : ‘Mais qu’est ce que tu fais ?’ Je lui ai dit : ‘Je ne me sens pas bien’. Il m’a dit : ‘Fais le tour. Appuies sur la dérive.’ En me concentrant, j’ai réussi à remonter sur le bateau et à barrer jusqu’à la plage. »

 

« Arrivé sur la plage, j’ai eu une espèce de lumière blanche du côté droit qui clignotait. Quand on a ramené les bateaux, il y a un moment où je suivais mon père et puis euh… je m’arrête et il me dit : ‘Mais qu’est-ce que tu fais ?’ ‘Ben je t’attends.’ ‘Mais je suis trois mètres devant toi !’ J’avais l’impression qu’il était derrière tout le temps. J’ai pris peur et par réflexe, j’ai fait un sprint sur la plage. Quand j’ai arrêté de courir, ma vision s’est scindée deux. J’ai vu une fissure comme si on avait coupé l’image en deux, qu’on avait pris une partie et qu’on l’avait décalée vers le bas. Ensuite, je me suis allongé et j’ai fermé les yeux. Quand on a commencé à ranger les bateaux, j’étais incapable de le faire… parce que le côté gauche, je le… j’avais une perte de sens… pas de sensation… La seule chose dont je suis sûr, c’est que j’ai essayé de monter dans ma baignoire pour prendre une douche. J’ai enjambé avec la jambe droite mais ma jambe gauche a cogné dans la baignoire. »

 

« Une ou deux semaines avant cet épisode, sur mon vélo, j’ai eu la sensation d’être suivi sur ma gauche. Pendant cinq minutes, j’avais vraiment l’impression qu’on me suivait quoi. C’est un truc que je n’avais jamais ressenti. C’était impressionnant. Je me souviens, j’ai pensé : ‘Mais il y a la mort qui me suit ou quoi ?’ En plus c’était une nationale donc quand les voitures passaient, j’avais peur de me faire percuter sur la gauche. Et après je me suis dit : ‘C’est bizarre.’ Comme je suis assez rationnel, je me suis dit : ‘Bon, ressens le truc et regarde ce que ça fait’. Et puis c’est parti. – C’est une sensation visuelle ou… ? – Non. C’est… il n’y a pas… je n’avais aucun… Il n’y avait pas de vision… il n’y avait pas d’ombre… c’était plus une sensation de présence derrière… un truc qui me suivait, qui était là. C’était fantomatique, enfin je ne sais pas comment expliquer ça. En fait, j’avais l’impression qu’il y avait une action qui se passait là tout le temps et ça me forçait à me retourner. »

 

IRM : lésion gliale du précunéus droit

IRM : lésion gliale du précunéus droit

 

Ce patient présente dans la cadre d’une crise d’épilepsie partielle à point de départ pariéto-occipital droit, la sensation d’être suivi par son ombre (syndrome de l’ange gardien). En fait l’ensemble des sensations visuelles et somesthésiques permet de supposer que cette ombre n’est autre que son hémicorps gauche vécu comme étranger (hémiasomatognosie). L’image du corps propre est véritablement scindée en deux parties autonomes. La moitié étrangère est mal identifiée dans la mesure où l’hémicorps se trouve rarement en face. Il apparaît de façon fugace dans l’hémichamp gauche quand on se met en mouvement.

 
Figure 1 : Enfant ayant deux têtes, deux bras et quatre jambes. Les œuvres d’Ambroise Paré. Editeurs : G. Buon, 1585. http://www.biusante.parisdescartes.fr/histmed/image?21178

Une approche phénoménologique de la clinique

Publié par Docteur Foucaud Du Boisguéheneuc, 3 / 01 / 2018 / Imprimer cette page

Le site Psychiatrie-Neurologie-Gériatrie est né d’une collaboration entre les acteurs de différentes spécialités sur le Centre Hospitalo-Universitaire de Poitiers et le Centre Hospitalier Henri Laborit. Parmi les personnes qui ont contribuées fortement à cette interaction, il faut citer le Professeur Roger Gil, Professeur émérite de Neuropsychiatrie, Gérard Simmat, Neurologue, fondateur et organisateur des congrès PNG depuis 17 ans, Isabelle Merlet, Neurogériatre (Unité Cognitivo-comportementale), Isabelle Migeon, Gériatre, Marc Paccalin, Professeur de Gériatrie et directeur du Centre Mémoire Ressources et Recherche (CMRR), François Salmon, médecin nucléaire, Claudette Pluchon et Marie- Noëlle Fargeau, orthophonistes, Foucaud du Boisguéheneuc, Neurologue (Unité de Neuropsychologie), organisateur des visuo-conférences CMRR.

 

Ce site a pour but de fournir à tous les professionnels de la clinique un lieu d’échange et d’amélioration des connaissances enrichi continuellement par de nouvelles observations. Il s’adresse aux cliniciens (médecins, psychologues, orthophonistes) mais également aux étudiants ou chercheurs issus des neurosciences, de la philosophie ou de la psychanalyse intéressés par tout ce qui fait signe. Dans la tradition des congrès PNG, l’objectif de ce site n’est pas tant de détailler le mécanisme lésionnel que de préciser les corrélations entre le symptôme vécu par le patient et le signe reconnu par l’observateur. On ne cherchera donc pas à fournir des observations exhaustives, mais toute anecdote recueillie « au fil de l’eau » nous semble trouver sa place. Il appartient en effet à la nature même du signe clinique d’être fragmentaire et incident. S’interdire de rapporter des observations au prétexte qu’elles sont marginales ou incomplètes est sans doute le plus sûr moyen de passer à côté de la partie essentielle de la clinique.

 

A terme, nous souhaitons constituer un recueil d’observations dont la qualité tienne autant à la nature du symptôme qu’au regard de l’observateur. Il nous semble illusoire de penser qu’un signe puisse être soustrait de l’interprétation du clinicien. C’est justement la variété des perspectives sur le même phénomène qui contribue à sa richesse et sa diversité. L’objectif n’est pas d’accumuler des données mais de compléter la description des grands symptômes neuropsychiatriques par le vécu original de chaque nouveau patient. Cette entreprise ne peut être menée que de façon collective, les faits cliniques n’étant pas toujours reproductibles. De plus l’éthique médicale oppose une limite épistémologique au paradigme expérimental que seule la clinique peut dépasser en considérant la maladie comme une expérience que la nature opère là où l’expérimentateur ne peut accéder.

 

Enfin la clinique doit s’affranchir d’un certain nombre de contraintes inhérentes aux règles de la publication. D’une part, les revues ne s’intéressent plus aux cas isolés à moins que ceux-ci soient extrêmement documentés selon des critères devenus discutables et très éloignés de la réalité clinique. D’autre part, les neurosciences se privent ainsi d’un nombre considérable d’observations parfois de très grande valeur et susceptibles d’apporter des éléments essentiels à la réflexion philosophique et à la modélisation scientifique. D’ailleurs on ne voit pas très bien ce qui autorise le paradigme scientifique à imposer ses règles à un domaine qui ne relève pas moins de la philosophie. La clinique se présente en effet comme un langage primitif entre le patient et le médecin, irréductible à un point de vue strictement objectif. A ce titre elle ne se distingue pas de la phénoménologie. Nous espérons que ce lieu d’échange fondé sur la réalité éphémère et intersubjective du signe permettra aux nombreux cliniciens de retrouver la passion d’une discipline vivante et autonome.

 

La seule contrainte imposée aux auteurs est de rapporter le vécu du patient et non l’interprétation exclusive de l’auteur. Les observations doivent être brèves, informatives et lisibles en évitant l’abus de références qui risquerait de décourager le lecteur. Les observations inachevées seront sans doutes les meilleures, et c’est tout l’intérêt d’un site de pouvoir compléter chaque article par la contribution de chacun. On trouvera dans la rubrique Accueil des observations classées par mots-clés, dans la rubrique Bibliographie, des articles, mémoires ou livres basés sur cette approche. La rubrique Actualités PNG et CM2R fournit le programme des visuo-conférences CM2R et du prochain congrès PNG. La rubrique Liens propose plusieurs sites de formation à la phénoménologie clinique ainsi qu’aux techniques de psychothérapie basées sur la méditation et la pleine conscience. Pour participer à l’espace de discussion, lire les observations en accès restreint ou nous adresser vos cas cliniques, merci de vous inscrire dans la rubrique Contact.