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L’accolement : une erreur corps-pour-autrui ?

Publié par Docteur Foucaud Du Boisguéheneuc, 18 / 05 / 2017 / Imprimer cette page

Femme bicéphale. Pierre Boaistuau, 1566

Une patiente de 64 ans présente l’installation progressive de troubles du langage oral et écrit depuis deux ans. Les troubles praxiques passent rapidement au premier plan. Sa fille la surprend à se brosser les dents avec du savon ou à passer le gant de toilette sur le sol. Elle prend les ustensiles de cuisine à l’envers, se brûle la jambe avec de l’eau chaude et est incapable de se servir d’un fauteuil roulant. L’évolution est marquée par l’apparition d’une main étrangère avec un comportement de lévitation de la main droite et des myoclonies. Le bilan neuropsychologique met en évidence un syndrome de Gerstmann (agraphie, acalculie, indistinction droite-gauche et agnosie digitale), une apraxie idéomotrice, idéatoire et visuo-constructive, une aphasie fluente avec paraphasies phonémiques et sémantiques.

 

Pour recopier le cube, elle met ses lunettes à l’envers, saisit le stylo par la pointe et copie la figure par-dessus le modèle (closing-in). Pour se servir d’une fourchette, elle place l’objet dans la main gauche puis de la main droite configure ses doigts comme les dents d’une fourchette, met le crayon dans sa main gauche et de la main droite trace des signes sur la feuille (erreur Corps-pour-Objet). Je lui demande de garder l’objet dans la main droite. Elle pique alors avec la fourchette sa main gauche et place le crayon en travers de ses doigts. L’objet semble vécu de l’intérieur par sa main droite et sa main gauche traitée comme un objet extérieur.

 

Elle présente une difficulté spécifique pour désigner les parties du corps alors qu’elle est parfaitement capable de pointer les objets de l’environnement. Le trouble concerne aussi bien le corps propre (autotopoagnosie) que le corps d’autrui (hétérotopoagnosie). Ainsi elle a tendance à désigner sur elle-même les parties du corps qu’on lui demande de montrer sur autrui. Toutefois, elle cherche à les pointer au lieu de les montrer et finit par accoler son corps à l’examinateur comme pour montrer sur autrui cette partie du corps qu’elle pourrait plus facilement pointer.

 

Coude1Coude2Coude3Coude4« Montrez-moi mon coude gauche »: tente de pointer son coude gauche avec sa main gauche.

 

 

1. Elle montre son œil, son oreille, sa joue du premier coup. Sur la consigne de montrer la même région sur moi, elle pointe l’autre moitié de son visage. Elle pointe son épaule droite au lieu de montrer la mienne. J’insiste, elle pointe la gauche : « Eh bien oui, il y en a deux : une de chaque côté. »

2. Sur la consigne de montrer mon coude gauche, elle montre son coude en le rapprochant du mien, puis tente de pointer son propre coude gauche avec sa main gauche. Pour montrer son poignet droit, elle mobilise ses doigts puis son bras droit sans parvenir à montrer son poignet qu’elle finit par pointer de la main gauche.

3. Je lui demande de montrer sa main gauche. Elle pointe immédiatement sa main gauche avec sa main droite. Sur la consigne de montrer sa main droite, elle fait des gestes de va-et-vient, des ronds, agite ses doigts. Je lui demande de montrer ma main droite. « Elle est là aussi » dit-elle en pointant dans sa direction avec la main droite.

4. Sur la consigne de montrer son index droit, elle montre son annulaire. Je montre mon index droit et lui demande de montrer le même doigt sur elle. Elle accole sa main droite à ma main droite jusqu’à envelopper complètement mon index.

 

DAT-Scan: Hypofixation putaminale gauche, TEP 18FDG: hypométabolisme pariétal gauche

Cette patiente a tendance à pointer sur elle-même les parties du corps qu’on lui demande de montrer sur autrui et montre sur autrui les parties qu’elle ne peut pas atteindre sur elle. La consigne de pointer sur autrui lui semble aussi absurde que si on lui demandait d’atteindre son propre corps de l’extérieur. Ce qui la tient en échec semble être la distance irréductible qu’une fusion entre nos corps aurait interposé entre le signifiant et le signifié. Tout se passe comme si la désignation des parties du corps sur autrui se réduisait à un geste de pointage sur soi. A la différence des objets, les parties du corps propre peuvent en effet être désignées soit de l’extérieur par un geste de pointage, soit de l’intérieur par un geste de monstration. Toutefois la possibilité de faire coïncider le signifiant et le signifié de l’intérieur a pour contrepartie l’impossibilité de les faire coïncider de l’extérieur, limite que seul autrui est en mesure de surmonter. Ici c’est la coïncidence interne du corps propre qui semble impossible, que le geste d’accolement à l’examinateur tente de surmonter par une coïncidence externe.

 

 

Accolement à autrui

Comportement d’accolement à l’examinateur

  1.  Figure 1: Femme bicéphale. Pierre Boiaistuau. Les causes générales de la génération des monstres. Edition : Paris : Robert Le Mangnier, 1566: http://www.biusante.parisdescartes.fr/histmed/image?03556 
  2. Kwon JC, Kang SJ, Lee BH, Chin J, Heilman KM, Na DL. Manual approach during hand gesture imitation. Arch Neurol. 2002 Sep;59(9):1468-75.
  3. Merleau-Ponty M. « Phénoménologie de la Perception » (1945). Paris, Gallimard, « Tel », 1976
  4. Du Boisguéheneuc F, Gil R, Pluchon C, Bouyer C, Guillevin C, Stal V, Wager M. Perspectives en 1ère personne sur le corps d’autrui et en 3ème personne sur le corps propre par stimulation per-opératoire du cortex temporo-pariétal gauche et droit. Psy. Fr. n°3. 2016, pp 125-139.
  5. Du Boisguéheneuc F. « Interprétation phénoménologique des troubles neurologiques ». De Boeck-Solal, 2013

 

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