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Naissance d’un double par scissiparité (1)

Publié par Docteur Foucaud Du Boisguéheneuc, 16 / 10 / 2015 / Imprimer cette page
Le monstre d'Oxford. Ischiopage. Rueff Jacob, 1552

Le monstre d’Oxford. Ischiopage. Rueff Jacob, 1552

Une patiente de 89 ans est hospitalisée pour une hémiplégie gauche en rapport avec un AVC ischémique sylvien droit. L’examen initial retrouve une hypernégligence avec déviation de la tête et des yeux à droite. Après 3 semaines d’évolution, l’équipe soignante signale un état confusionnel : elle se croit chez elle, prend l’infirmier pour son mari, le médecin pour son gendre et l’interne pour sa petite fille. Lorsqu’on lui demande d’aller chercher sa main gauche, elle déclare :

« – On me l’a prise.

Je lui montre sa main :

– C’est la main de ma fille.

– Vous en êtes sûre ?

– C’est peut-être la vôtre. »

 

 

Un mois plus tard, elle croit voir son mari au pied de son lit :

« – Michel, tu es levé ? Tu vas m’aider à m’habiller. Il faut qu’on rentre chez nous. »

Je lui demande de me préciser où elle voit son mari. Elle me montre le fauteuil devant elle :

« – Il est allongé dans le lit.

– Où ça dans le lit ?

– La tête de l’autre côté, dans le petit lit en face. Je vois ses cheveux. Michel, tu viens ? J’ai des choses à te donner. »

Elle triture le coin du drap en disant que c’est un vêtement, puis observe le bas du mur et interpelle son mari :

« – Qu’est-ce que c’est que ce sac ? Michel, tu veux bien me donner ce sac ? »

 

Je lui fais toucher sa main gauche avec sa main droite, elle dit que c’est sa main droite. Je lui fais toucher sa main droite avec sa main gauche, elle dit que c’est la main droite de son mari. De même avec les pieds. La réponse a toutefois varié au cours du temps. Parfois sa main gauche a été attribuée à son mari, d’autres fois au médecin ou encore à l’interne. Elle attribue sa main gauche à l’examinateur en vision directe mais reconnait immédiatement sa main gauche dans le miroir (Vallar & al.). Devant son visage filmé par la webcam, elle dit : « C’est un bébé » qu’il faut sans doute rapprocher de ce qu’elle dit plus tard de sa main gauche : « C’est une main d’enfant. »

 

- A qui est cette main ? - C'est ma main droite. - A qui est cette main ? c'est votre main droite.

– A qui est cette main ? – C’est ma main droite. – A qui est cette main ? – C’est votre main droite.

 

Un matin, elle demande à l’infirmière :

« – J’ai besoin de vos services. Pouvez-vous me retirer cette main qui est posée sur moi ? »

Je lui montre sa main en lui demandant à qui elle est. Elle me répond :

« – C’est une petite main, une main d’enfant. »

Un autre jour, elle déclare en voyant la main de l’interne :

« – Ce sont les mains qui se promènent dans le lit. Tous les soirs, il y a trois ou quatre mains qui se promènent dans le lit.

– A qui sont-elles ?

– A des gens décédés. Je ne les connais pas. Personnellement, je n’aime pas les toucher, ça me fait une sensation de main morte. »

Quand on lui demande d’attraper sa main gauche, elle la repousse :

« – C’est une main coupée. On m’en a apporté toute la semaine. C’est triste toutes ces mains. J’en vois une tous les jours, c’est pas réjouissant. »

Elle prend la main et cherche à la poser sur la table. Quand on essaye de lui montrer que cette main est bien la sienne, elle nie et montre que la main est coupée au niveau du poignet.

« – Je n’avais pas la tête très solide mais pas à ce point-là. Je sais bien que ce n’est pas ma main. »

Elle se tourne vers l’interne :

« – Mademoiselle, enlevez-la donc. Vous savez bien que je ne l’aime pas. »

 

Une semaine plus tard, une patiente aphasique est hospitalisée dans la même chambre. Je lui demande de me dire son prénom. Comme j’insiste pour obtenir une réponse, sa voisine (ma première patiente) répond à sa place :

« – Lucienne ».

Je demande à ma patiente de répéter le mot ‘Bonjour’. Sa voisine répond à nouveau :

« – Bonjour ».

Je tente de remettre les choses dans l’ordre :

« – Non Madame, je parle à votre voisine »,

Je reprends avec ma patiente aphasique :

« – Répétez le mot ‘Hopital’ ».

J’entends à l’autre bout de la chambre :

« – Ho-pi-tal » tandis que mon interlocutrice échoue à exécuter la consigne.

 

Le lendemain, une discussion surréaliste s’engage dans le service: un patient agité crie dans une chambre. Un autre patient hospitalisé de l’autre côté du couloir pour un AVC sylvien droit le prie de se taire. Ma patiente qui croit entendre son mari de l’autre côté de la cloison, lui répond : « Qu’est-ce que tu dis ? » J’avais remarqué qu’elle m’identifiait correctement quand je la sollicitais dans son hémichamp visuel droit mais qu’elle appelait systématiquement son mari quand je m’adressais à sa voisine située sur sa gauche. Je reviens donc vers elle :

« – Madame, votre mari n’est pas là. J’examine votre voisine.

– Ah bon ? Pourtant il m’a semblé entendre sa voix. »

Je reprends alors mon examen avec l’autre patiente. Mais à peine ai-je recommencé que j’entends:

« – Michel ! C’est bien toi ? Je sais que c’est toi. Arrête ta conversation. Tu parles quand je parle. Tu ne m’écoutes pas. Tu parles d’une compagnie ! »

 

TDM: AVC ischémique sylvien droit superficiel et profond.

TDM : AVC ischémique sylvien droit complet.

Cette patiente a présenté la plupart des symptômes observés dans les lésions hémisphériques droites : négligence spatiale, anosognosie, hémiasomatognosie, somatoparaphrénie, reduplication et délire d’identité. L’erreur d’identification semble être au cœur du tableau : elle passe son temps à prendre les personnes de l’équipe pour des membres de sa famille : mari, gendre, petite-fille, et parallèlement attribue son côté gauche à son mari, à l’interne, au médecin… Un jour elle dit que « c’est une main d’enfant » et en découvrant son visage : « c’est un bébé ». La perte de l’hémisphère droit a coïncidé avec la séparation de l’image du corps en deux personnes distinctes, l’une en miroir de l’autre, comme un jumeau né le jour de son AVC*.

 

 « Mon bras gauche était nu et replié (en position fœtale) il portait des traces blanches comme des marques de colle laissées par des pansements. En fait c’était le bras de ma fille Lulu, elle avait voulu un câlin près de moi et nous étions restés soudés. Le personnel ne voulait pas le croire et soutenait que c’était mon bras. Moi seule savait la vérité qui semblait pourtant évidente. » (Morin, 2013).

 * Naissance d’un double par scissiparité (2)

 

  1. Figure 1: Rueff Jacob. De conceptu et generatione hominis. Edition : Francfort-sur-le-Main : Petrus Fabricius, 1587 :http://www.biusante.parisdescartes.fr/histmed/image?21017 
  2. Bogousslavsky, J & Regli, F. Response-to-next-patient-stimulation: a right hemisphere syndrome. Neurology (1988), vol. 38, pp 1225-7
  3. Vallar G. This Hand is not mine ! Somatoparaphrenia: a somatic delusion of ownership. Journée de Neuropsychologie J.-L. Signoret. 19 novembre 2013, Hôpital de la Salpêtrière, Paris.
  4. Du Boisguéheneuc F. « Interprétation phénoménologique des troubles neurologiques », Eds. DeBoeck-Solal, 2013.

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