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Amnésie ou hypermnésie post-traumatique ?

Publié par Docteur Foucaud Du Boisguéheneuc, 16 / 06 / 2014 / Imprimer cette page

Une patiente de 28 ans est suivie au décours d’un traumatisme crânien associé à une perte de connaissance brève d’environ deux minutes. A l’examen initial, otorragie gauche. Le scanner initial montre une hémorragie intra-ventriculaire isolée. Le bilan neuropsychologique retrouve une dysmnésie d’évocation, quelques perturbations en mémoire de travail et sur le plan exécutif, une sensibilité à l’interférence. Elle rapporte les troubles suivants :

 

– Je cherche à savoir ce qui s’est vraiment passé au moment de l’accident. On m’a dit que j’avais repris connaissance. Moi je n’ai aucun souvenir de tout ça. Je n’ai rien ressenti ni au moment de l’accident ni pendant l’hospitalisation. Je n’ai même pas de souvenirs de la douleur. Pour moi, je me suis réveillée sur mon lit d’hôpital, branchée de partout. Maintenant j’ai des douleurs et ça m’a fait prendre conscience. C’est comme si mon cerveau voulait absolument reconstituer ce qui s’est passé. J’ai une image d’avant l’accident : j’ai mon téléphone dans ma poche, je marche avec mon père. Ensuite, je me vois allongée, au dessus de la scène, mon père est au dessus de moi. C’est comme quand on voit dans les films un fantôme au-dessus de sa personne. Je me vois en fait de cette place, au-dessus de moi-même. Je vois tout ce qui se passait, comment les personnes réagissaient, ce qu’elles ressentaient, ma famille, les pompiers, et moi aussi comment j’étais physiquement.

 

– Il s’est écoulé combien de temps entre l’accident et la prise de conscience de l’accident ? – Assez longtemps en fait. On avait beau me dire, tout le monde, le personnel infirmier, les aide-soignants, que j’avais eu un accident, certes je m’en rendais compte parce que je ne pouvais pas parler, j’étais branchée de partout, j’étais sous l’effet des médicaments, mais j’en ai pris conscience très tard, en rentrant chez moi, et même encore actuellement, j’ai du mal à prendre conscience des choses. Quand quelqu’un me dit : j’ai appris que tu avais eu un accident, je dis oui mais… Il me manque la période entre le moment où j’ai perdu connaissance et le moment où je me suis réveillée à l’hôpital, ça me paraît un temps indéterminé. Ça me fait quelque chose qu’on me rappelle ça. Je pleure beaucoup, je suis devenue sensible. Dès que je croise un camion de pompier ou une caserne, je me mets à pleurer, c’est plus fort que moi.

 

– Chaque matin quand je me réveille, c’est comme une nouvelle naissance. C’est comme si on effaçait ce qu’il y avait avant et on recommence quoi. J’ai vraiment une perception des choses que je n’avais pas avant. Ça fait pratiquement un an que j’ai eu cet accident et j’ai l’impression que c’est comme si c’était hier. J’ai l’impression de n’avoir rien vécu entre les deux. Tout le reste, ce sont des mois qui ont défilé mais je les vis sans… Avec le temps, j’arrive à me souvenir un peu plus. Ça commence à revenir. Pas tout, mais je commence à fixer certaines choses. Je ne suis plus au mois d’août. J’arrive à me dire qu’on est au mois de janvier même si je sais qu’on est au mois de mars mais je sens que ça se rapproche petit à petit. Le décalage temporel diminue. J’ai cette impression que j’ai une partie de moi-même qui ne veut pas avancer, qui veut rester là où elle est, qui veut rester au point mort. C’est ça qui me rend sensible.

 

– J’ai l’impression d’être deux personnes différentes ou d’être deux personnes dans un corps, d’être deux moi différents. A un moment de la journée, je suis là et des fois, il y a la personne d’avant. Je ne sais pas si ce sont deux personnes différentes mais j’ai l’impression d’être dans deux temps des fois. J’oublie ce qui est derrière mais je n’ai pas cette sensation parce que je sais que c’est toujours présent. J’ai l’impression d’avancer mais tout doucement, au ralenti en fait. Quand les autres m’interpellent, c’est un peu comme s’ils me réveillaient. Je suis déconnectée de mon corps en fait, comme si je ne le vivais pas de l’intérieur. Avant de m’endormir, j’ai vraiment cette sensation de revivre l’accident. Quand je ferme les yeux, j’ai déjà pratiquement cette image qui arrive et j’essaye de puiser dans ma mémoire ce qui s’est passé. J’hésite entre m’en souvenir et ne pas y penser, faire comme si ça n’avait jamais existé, comme si j’étais une personne différente, comme si je me reconstruisais à partir du moment de l’accident.

 

IRM Echo de gradient T2: microhémorragies frontale droite et juxta-ventriculaire

IRM Echo de gradient T2: microhémorragies frontale droite et juxta-ventriculaire

Cette patiente semble présenter à la fois les signes d’un traumatisme crânien et d’un état de stress post-traumatique. Ainsi elle décrit un état d’alerte avec insomnie, hypermnésie et reviviscence de l’épisode et simultanément une amnésie de l’accident. D’une certaine manière, elle essaye de revivre une période… qu’elle n’a pas vécue. A la différence de l’amnésique qui oublie qu’il oublie, elle oublie d’oublier. L’hypermnésie est à l’origine d’un sentiment de dédoublement comme une nouvelle individualité qui renaît chaque matin.

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