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Reduplication de lieux ou délire d’ubiquité ? (2)

Publié par Docteur Foucaud Du Boisguéheneuc, 10 / 06 / 2015 / Imprimer cette page
Auteurs: F. du Boisguéheneuc, C. Bouyer


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Sa fille : « – Donc vendredi vers 11H, mon père m’appelle très inquiet parce qu’il voulait signaler la disparition de ma mère au commissariat. Or ma mère est décédée il y a trois ans. Je suis allé chez lui et j’ai retrouvé mon père prostré, anxieux, sous le choc. Il me dit qu’il a vu ma mère. Alors je lui dis : ‘Mais comment ça tu as vu Maman, tu as fait un malaise ?’ Il m’a répondu: ‘ Non, pas du tout. J’étais en train de lire. Quand j’ai relevé la tête, Maman était devant moi.’ »

 

Le patient : « – J’étais en train de lire et qui est-ce que je vois rentrer : mon épouse. Je lui ai posé des questions mais elle ne me répondait pas. J’avais pourtant mis les formes : ‘Je ne veux pas te gêner mais est-ce que tu peux m’expliquer comment tu es revenue chez toi ? Que je sache, il n’y a ni ligne de chemin de fer, ni ligne de bus, ni ligne de métro entre le ciel et la terre ?… Rien. Pourquoi insister ? Ça la gênerait. »

 

« Je vois ma femme qui est théoriquement décédée. Je la vois. Je la vois ! Je l’ai même vue passer sur le trottoir devant chez nous. Elle revenait probablement de faire des courses, elle avait des sacs et était accompagnée d’une dame. En passant devant l’entrée, elle a détourné le regard. Je l’ai vue ! Mais comment le dire ? Si je vais à la gendarmerie, on va me prendre pour un type qui a complètement perdu la tête, qui voit des personnes qui n’existent pas puisqu’elles sont décédées, la presse va s’en mêler et dire qu’il y a un miracle à Poitiers. Ou alors, il faut que je me taise. Il ne faut pas que je dise ce que je vois ou ce que j’entends. »

 

« Parce que des rêves la concernant j’en ai fait. Entre sa mort et mon AVC, je l’ai vue très souvent en rêve (mais ça je pense que c’est propre à énormément de personnes). Enfin en rêve, je l’ai vue dans la chambre en chemise de nuit, elle était face à la fenêtre, elle me tournait le dos. Je lui ai demandé si il fallait que je la couvre parce qu’elle allait avoir froid. Il n’y a pas eu de réponse. Sitôt après sa mort, je venais de faire ma toilette, je retourne dans la chambre pour m’habiller, je jette un coup d’œil sur le lit. Je l’ai vue sur le dos, les yeux mi-clos, regardant le plafond. Elle m’a regardé, et au moment où j’ai fait : Oh ! Hop ses paupières se sont refermées et son visage a disparu. Elle était allongée dans notre lit, à côté de moi. J’ai été jusqu’à faire venir un prêtre pour qu’il bénisse l’appartement parce que moi j’en pouvais plus ! »

 

« Mais depuis l’AVC, c’est différent. Elle dort à côté de moi, sans un mot, rien ! Et si je me lève, elle est déjà partie, elle n’est plus là ! J’ai beau allumer pour voir, je l’ai fait une fois pour essayer d’engager une conversation, j’ai allumé. Hop, je me retourne, il n’y avait plus personne. Elle n’est plus là. J’ai même fait le test de ne pas m’endormir du côté gauche mais du côté droit pour lui faire face. Je ne l’ai jamais vue. Je ne l’ai jamais vue ! »

Le médecin: « – A ce moment, vous dormez ou pas ?

– Eh bien je dors oui. Mais quand elle rentre dans le lit et qu’elle se couche, forcément je sens bien qu’il y a quelqu’un qui vient de se mettre dans le lit. C’est ça qui est angoissant. Je sais qu’elle vient ici, elle vient, je le sens. Ça se sent une personne qui n’est pas loin de vous quand même. Eh bien non, dès que je cherche à lui parler, il n’y a plus personne. Je pense à elle, elle apparaît. Je me retourne, elle disparaît. La porte d’entrée est fermée à double tour. Elle n’a pas besoin de clé. Elle pénètre dans l’appartement comme ça ! D’abord je ne sais pas où elle est ou ce qu’elle fait, elle rentre à des heures qui ne sont jamais les mêmes. Elle peut rentrer de nuit ou tard le soir mais jamais aux mêmes heures et elle repart avant le lever du jour. Et je pense même qu’elle attend que je dorme pour se mettre dans le lit. Vous voyez jusqu’où ça va ! De crainte qu’elle ne soit découverte ! »

 

Message laissé à son épouse, copie de la fleur, autoportrait et TDM.

Message laissé à son épouse, copie de la fleur, autoportrait et TDM.

 

Juste après son retour au domicile, sa fille rapporte qu’il voyait son ancien voisin de chambre dans son lit :

« – Dès que je quittais mon lit, mon compagnon de chambre prenait ma place. Je mettais le pied par terre, je revenais peut-être cinq minutes après pour ouvrir la fenêtre, il était à ma place.

– On était où là ?

– Dans ma chambre, dans mon lit ! Et ça tous les jours pendant une dizaine de jour, jusqu’au moment où il est parti chez lui. Je ne peux pas vous dire autre chose, docteur. Dès que je quittais ma place dans mon lit, lui la prenait.

– Tu avais décidé à partir de ce moment-là de fermer ta porte de chambre.

– J’ai voulu contacter le personnel du CHU. Il est gonflé quand même ! Mais je n’ai pas osé m’adresser à lui : si quelqu’un s’était introduit chez lui et couchait dans son lit, quelle aurait été sa réaction ? Je me suis dit : Non, non. N’interviens pas. Il doit bien se rendre compte de ce qu’il fait. Il quitte son lit et il vient terminer sa nuit dans le mien. »

 

De retour chez lui après avoir pris l’hôpital pour son domicile (paramnésie de reduplication*), ce patient voit son voisin de chambre qui occupe exactement sa place dès qu’il quitte son lit. Il rêvait souvent de sa femme décédée mais depuis son AVC, il la croit vivante, comme si l’AVC avait supprimé la distinction entre le rêve et la réalité. Elle rentre tard le soir et s’en va le matin. Il sent sa présence la nuit dans son dos, le jour il la voit devant lui. Il pense à elle, elle apparaît. Il la regarde, elle disparaît.

 

* Reduplication de lieux ou délire d’ubiquité ? (1)


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